Interviews
Le 07/02/2022

EKATERINA DENISSOVA-BRUGGEMAN

A l’occasion de la présentation du CD dédié à 4 compositeurs russes du XXème siècle, enregistré par Sandrine Tilly et Anne Le Bozek, paris-moscou.com s’est entretenu avec Ekaterina Denissova, (musicologue, pianiste et professeur de piano) épouse du célèbre compositeur  qui se consacre à la promotion de son œuvre dans le monde entier. En France, elle a publié notamment la grande monographie Edison Denisov – Aedam Musicae, 2016).

P.M. Vous parlez un français impeccable : vous l’avez étudié en Russie?

E.D. En Russie et en France où je vis et où j’ai passé l’examen de musicologie à la Sorbonne.

P.M. Quand Denisov s’est-il installé en France?

E.D. Cela remonte à 1994, l’année de ce terrible accident dont il a été victime

P.M. C’est arrivé en Russie?

E.D. Oui, prés de Moscou, où il d’abord été soigné avant d’être transféré  dans un célèbre hôpital à Moscou, mais au bout de deux à trois semaines les médecins ont fait comprendre qu’il serait opportun de le transporter ailleurs pour d’autres soins.

P.M. C’est alors qu’il a été transporté en France?

E.D. Grâce à l’aide de l’ambassadeur de France de l’époque qui était un ami. En deux jours, il a réalisé l’impossible : le transport de Denisov en avion militaire-sanitaire français venu du Rwanda (il n’y en avait plus en réserve en France) l’obtention des permission de survol de tous les pays de l’espace aérien traversé, l’acheminement d’une une espèce de sarcophage  dans lequel Denisov fut placé dans l’avion après controle du médecin de l’ambassade venu pour s’assurer qu’il était transportable jusqu’à l’hopital militaire en France où il a été soigné.

Comme il apparaissait évident qu’il ne pouvait envisager un retour immédiat nous avons pris un appartement où Denisov a vécu pendant deux ans et demi : nous nous sommes donc installés, nos enfants ont intégré l’école française

P.M. Combien d’enfants avez-vous et ont-ils suivi le chemin musical de leur père?

E.D. Nous avons deux filles mais elles travaillent dans un domaine tout à fait différent :cosmétiques,  coiffures pour grandes fêtes ….A l’époque j’ai dû chercher du travail, je n’avais  plus mon travail  moscovite, et cela n’a pas été facile :  je devais d’abord obtenir la permission de travailler.

P.M. Denisov entretenait des liens « musicaux » avec la France

E.D. Bien sur, depuis les années 60. Il connaissait très bien Dutilleux, Boulez et les autres compositeurs français, ses oeuvres ont été jouées en France, créées même : il a reçu des commandes et des distinctions officielles :  il a également beaucoup oeuvré pour faire connaitre la musique contemporaine en Russie, Denisov s’est toujours beaucoup investi dans le développement des liens culturels et amicaux entre la Russie et la France.

P.M. Mais c’était un scientifique? il n’a pas baigné dans une atmosphère musicale dès son bas âge?

E.D. Effectivement c’est seulement à l’âge de 16 ans qu’il a commencé des études sérieuses en musique, auparavant Il n’était qu’amateur. Il a voulu d’abord mener à terme ses études scientifiques avant de se consacrer totalement à la musique.

P.M. Mais par la suite, les années passant, a-t-il abandonné les sciences pour la musique ?

E.D. Oui, d’ailleurs Chostakovitch, ayant vu ses premières compositions avait été étonné de leur niveau  l’avait encouragé dans cette voie.

P.M. Peut-on dire qu’il a été influencé par Chostakovitch?

E.D. Oui, tout en étant plus avant-gardiste que lui. Il s’est beaucoup intéressé à l’école de Vienne, à la musique atonale, au dodécaphonisme.

P.M. Chostakovitch n’a pas été épargné par la critique « officielle » Il a même du faire une autocritique publique: Denisov a-t-il rencontré les mêmes difficultés?

E.D. Bien sur, jusqu’aux années 87, dans les années 83 plusieurs de ses concerts avaient été annulés, quelquefois joués seulement en province etc

P.M. Avait-il conservé la rigueur scientifique dans sa méthode de travail : se consacrait-il à la composition selon l’inspiration du moment ou bien de manière très organisée de telle heure à telle heure?

E.D. Il s’adonnait à son travail  de manière très méthodique, à des heures fixes,  bien déterminées.

P.M Denisov a relié la musique à la peinture.

E.D. Effectivement, c’est un grand chapitre! Il était grand amateur de peinture et admirait surtout Paul Klee également, Miro, Kandinsky, Magritte mais pas Dali ni Picasso. Dans une de ses oeuvres il reproduit la technique de la peinture (la manière de poser les touches de peinture) en la transposant en musique.

Sandrine Tilly et Anne Le Bozek annonçant le début du  concert où elles interprétaient les oeuvres enregistrées dans leur CD cet entretien a dû prendre fin mais les internautes désirant avoir plus de détails sur Edison Denisov peuvent prendre connaissance des dossiers aimablement mis à disposition par Ekaterina Denissova.

Denisov et la France, une histoire d’amour
(paru dans : Edison Denisov, compositeur de la lumière. Recueil d’articles sous la direction
d’Ekaterina Kouprovskaia-Bruggeman, Paris, CDMC, 2011, 146p.)
Couleur et lumière dans la musique d’E.Denisov.
Monographie denissovienne (Coll. Musiques XX-XXIe siècles)