Interviews
Le 07/03/2020

Serguei BODROV

paris-moscou.com a pu s’entretenir avec Serguei Bodrov lors du 6ème festival du film russe de Paris, en mars 2020.
à Khabarovsk en 1948 Sergueï Bodrov, commence par être journaliste, puis scénariste pour devenir aussi réalisateur. Il obtient en 1996 un succès retentissant avec le film « Le Prisonnier du Caucase »

P.M. C’est tout naturellement que le métier de scénariste vous a conduit à être réalisateur ?

S.B. Oui, d’ailleurs mon film Liberté = Paradis a fait l’objet d’une publication chez Actes Sud.

P.M. Quel est le film qui vous a donné le plus de satisfactions, c’est à dire celui qui, à vos yeux,
a tout à fait correspondu à ce que vous vouliez réaliser ?

S.B. Je pourrai en nommer deux : « Le prisonnier du Caucase » et « Mongol. »

P.M. C’est « Le prisonnier du Caucase » qui sera d’ailleurs projeté ce soir lors du 6ème festival du cinéma russe à Paris qui vous a fait connaître au monde entier.

S.B. Ce film a été nommé aux Oscars et aux Golden Globe en 1997, dans la catégorie  » Meilleur film étranger « . C’était important pour mon fils, cela l’a fait connaître comme acteur et il est devenu réalisateur mais après ce qui est arrivé (Sergueï Bodrov fils a péri sous une avalanche pendant le tournage de son  film au Caucase)  j’avais besoin de m’investir entièrement dans le travail et m’absorber dans la réalisation d’un film.  C’est ce qu’a permis le tournage du « Mongol » qui s’est déroulé sur une durée de deux ans : cela a été un travail difficile et c’est ce qui m’a aidé à surmonter mes problèmes personnels.
C’est l’anthropologue-ethnologue Carlos Castaneda, qui a écrit « On ne vit que deux fois ».

P.M. C’est lui qui a connu un indien de la tribu yaqui, un chamane  dont il est devenu l’élève : une expérience qu’il raconte dans ses livres ?

S.B. Oui, c’est cela, et c’est le chamanisme qui a constitué le chemin qui m’a mené vers la réalisation de » Mongol. »

P.M. Comment cela s’est-il passé : vos antécédents bouriates vous ont-ils facilité la tâche ?

S.B. Oui, en quelque sorte : j’ai rencontré un artiste sculpteur et peintre bouriate qui allait souvent consulter un lama aussi bien qu’un chamane : c’est lui qui m’a indiqué qu’il fallait consulter un chamane avant d’entreprendre le tournage.
Il m’a donc emmené voir le chamane officiel mongol (là où il consulte il y a une inscription stipulant qu’il est Le chamane officiel du lieu) afin de lui demander la permission de filmer.

Après le rituel habituel qui précède ce genre d’entrevue, après les offrandes que nous avions apportées, ma conversation avec ce chamane a duré une quarantaine de minutes.
Il m’a dit que j’avais bien fait de venir le consulter et demander la permission de filmer dans
la région car d’autres cinéastes avaient omis de le faire et leurs films ont été ratés.!
Il m’a indiqué, par exemple, que dans toute la région que j’allais parcourir pour filmer, il y a une multitude de sépultures mongoles, par conséquent, dans chaque lieu, en arrivant, je devais voir également  le chamane local, l’informer de ce que j’allais faire et avoir son accord.
Et c’est ce que j’ai fait.

P.M. Vous avez donc filmé sur les lieux et avec des autochtones : la population vous a-t-elle
bien accepté ?


S.B.
Oui de ce côté, il n’y a eu aucun problème.

P.M. C’est un film a grand spectacle peut-on dire, vous avez donc eu à faire avec nombre de figurants et surtout de cavaliers? 

S.B. Une très grande quantité de cavaliers, il y avait des chinois et également de Kungours,
(les mongols sont très nombreux en Chine on peut même dire qu’ils sont plus nombreux qu’en Mongolie) leurs rapports ancestraux étaient pétris d’hostilités, ils ne sont d’ailleurs pas très amicaux actuellement !

P.M. Cela Vous a posé des problèmes lors du tournage ?

S.B. Pas vraiment mais lors de scènes de bataille j’avais une masse de cavaliers qui s’affrontait, ils entraient tous tellement dans le vif de l’action que lorsqu’on interrompait la prise ils n’en tenaient pas compte et continuaient la bataille de plus belle!

P.M. En quelque sorte ils se sentaient revenus aux temps anciens ?

S.B. Oui, c’est cela !

P.M. Toutes les scènes demandaient un grand travail préparatoire logistique : il fallait bien prévoir le bien-être des chevaux, leur nourriture ! Les figurants étaient des autoctones mais comment avez vous choisi les acteurs ?

S.B. Ce sont des acteurs professionnels qui sont connus dans le milieu asiatique.
La réalisation de ce film a été salutaire pour moi. C’est tout ce long travail absorbant qui m’a donné des forces et m’a permis reprendre pied et de continuer.
Par contre il y a quelques films dont la réalisation et le résultat ne m’ont pas donné satisfaction.

P.M. Nous n’allons pas parler de ceux-là. Mais votre intérêt pour les chevaux prouve que vous êtes un cavalier ?

S.B. Oui, je suis cavalier,  c’est peut être pour cela que j’ai été tenté par le sujet de « Crinière au vent, âme indomptable »

P.M. C’est un sujet qui a séduit Jean-Jacques Annaud puisqu’il a produit ce film?

S.B. Oui, l’histoire de ces chevaux sauvages vue par les yeux d’un jeune animal l’a tout de suite passionnée. Le thème vient d’une histoire anglaise, un fils de sorcier ; je n’ai pas pris un acteur
de 14 ans comme dans le sujet, mais de 18 ans, Les acteurs étaient très bons cependant quelque chose d’enfantin est resté dans ce film.

P.M. Cela doit être difficile de filmer des chevaux, de rendre la course du galop, de monter la rapidité du déplacement des sabots ?

S.B. C’est surtout le travail de l’opérateur.

P.M.  Comment avez vous sélectionné le héros, c’est à dire le poulain ?

S.B. J’en avais plusieurs dont j’ai testé les diverses qualités et la plus douée était une
demoiselle : une jeune pouliche et non pas un poulain!

P.M. C’est donc elle qui a remporté le rôle !

S.B. Exactement, et j’ai eu beaucoup de plaisir à réaliser ce film.

L’entretien aurait pu durer encore longtemps mais l’heure tournant, Serguei Bodrov a été appelé pour la présentation de son film  au public du Festival  qui aura profité d’une projection exceptionnelle en ayant l’opportunité de voir, lors d’une même soirée, les deux grands chefs-d’oeuvre de Serguei Bodrov : « Le prisonnier du Caucase » suivi de la projection du « Mongol »!