Interviews
Le 24/05/2019

RENA SHERESHEVSKAYA

Cette année le Festival des Amateurs Virtuoses avait comme prestigieuse marraine
Rena Shereshevskaya qui a mené tant de jeunes pianistes à des niveaux supérieurs remportant les premiers prix de préstigieux concours.
paris-moscou.com a eu le privilège d’assister à la masterclass donnée dans le cadre du
Festival des Amateurs Virtuoses et de pouvoir s’entretenir ensuite avec elle.

Les candidats (aussi bien que le public qui a assisté à ces masterclass) ont apprécié son approche si approfondie des intentions que le compositeur révèle dans sa partition et que l’interprète doit faire ressentir à l’auditoire.
Des questions-réponses entre Rena Shereshevskaya et le pianiste, cernent au plus près les motivations de l’auteur tout en faisant appel à des références aussi bien musicales que littéraires ou anecdotiques, ce qui élargit considérable l’approche de l’oeuvre.
La musique russe que Rena qualifie de » musique exempte d’hypocrisie, qui affiche tous ses sentiments, » n’en demeure pas moins un ensemble dont il faut extraire la nature profonde et étudier les moindres facettes.
La mélodie y règne et pour transmettre son chant, l’interprète doit soigner la manière dont il touche la note aussi bien que la manière dont il la lâche. L’interprète doit rester libre sans pour autant perturber la logique de la composition : il doit transmettre l’idée profonde de l’oeuvre.

P.M. Vous avez étudié le piano pour être interprète : comment votre vocation de pédagogue
vous est-elle venue ?

R.S. Par la force des choses, j’ai été obligée d’abandonner ma carrière de pianiste et cela a été une grande trajédie dans ma vie !
J’étudiais avec un professeur remarquable Elisaveta Lvovna Filatova et, parvenue à un haut niveau, préparant mon premier grand récital, j’ai souffert d’une grave tendinite. J’ai repris après un certain temps, ensuite, considérant qu’elle m’avait tout donné du point de vue pianistique, Madame Filatova m’a conseillé de poursuivre mon chemin avec quelqu’un d’autre.
J’ai eu un professeur qui m’a fait travailler en étirant beaucoup la main. Au moment où je devais présenter un concours très important j’ai constaté qu’un doigt ne m’obéissait pas. Il s’agissait d’une énorme crampe comme existe celle des écrivains. J’avais passé 6 mois sans jouer et de nouveau je devais m’arrêter ! A ce moment là Madame Filatova m’a simplement demandé de l’aider à donner des cours à une jeune élève et à une amie.

P.M. Elle vous a dirigé vers cette voie, sans que vous vous en rendiez vraiment compte.

R.S. J’ai eu l’opportunité d’accompagner le récital d’une chanteuse (j’avais terminé le Conservatoire Tchaïkovsky de Moscou) et je suis entrée à l’Institut Ippolitov-Ivanov de Moscou.
Pendant les années difficiles en Russie, (les années 90) j’ai eu l’opportunité de venir en France pour un an dans le cadre d’un congé sabbatique en tant que pédagogue au Festival de Colmar et, de fil en aiguille, ayant eu diverses propositions, mon séjour en France s’est allongé jusqu’à devenir permanent! Actuellement, j’enseigne à l’Ecole Normale de Musique et au Conservatoire de Rueil-Malmaison.

P.M. Quelle est la ligne directrice de votre travail avec les Amateurs Virtuoses ?

R.S. Il faut se mettre dans les oreilles du compositeur et comprendre sa pensée.

P.M. Que pensez-vous des pianistes faisant partie de Amateurs Virtuoses ?

R.S. C’est vraiment un plaisir de travailler avec eux : je les aime beaucoup, je les respecte infiniment, ils sont très motivés, leurs questions sont très intéressantes souvent inhabituelles,
je dis de ne pas hésiter à me poser des questions s’il y a quelque chose qui est pas clair dans la composition et nous commençons à analyser, quelquefois cela amène une réflexion qui met en lumière certains aspects non évidents de prime abord!

P.M. Lors d’un grand concours en perspective, vous avez préconisé à un jeune et brillant pianiste  de ne plus se référer aux conseils que vous lui aviez prodigués. Est-ce un conseil habituel et pourquoi?

R.S. Cela dépend des personnalités, certains doivent bien tenir compte de telle ou telle indication mais d’autres doivent être suffisamment imprégnés de tout ce que nous avons travaillé ensemble pour qu’il n’y a plus besoin de s’y référer, sa mémoire visuelle, auditive, gestuelle et tactile est en place et le pianiste peut montrer sa propre nature profonde aussi bien que celle du compositeur.

P.M. Pour la seconde fois, vous participerez au Festival de la Roque d’Anthéron avec une masterclass publique.

R.S. N’étant plus interprète, et ne pouvant me produire en tant que soliste, je suis très heureuse de faire ainsi partie de ce Festival.

P.M. On peut dire que vos élèves constituent en quelque sorte un vecteur qui vous permet de réaliser l’interprétation que vous auriez donnée si vous étiez au clavier : les Amateurs Virtuoses ayant eu le privilège de bénéficier de vos conseils doivent les garder en mémoire précieusement.