Interviews
Le 05/07/2001

HUBERT NIESS – Directeur du Festival de Colmar

P.M : Nous vous remercions de nous avoir accordé cette interview lors de votre passage à Paris car vos fonctions de Directeur du Festival International de Colmar ne doivent pas vous laisser beaucoup de temps libre. Vos fonctions antérieures étaient-elles aussi liées à la musique ?

H.N : J’ai été administrateur du Théâtre pendant plus de 10 ans et directeur du Théâtre Municipal, à ce titre je me suis intéressé au domaine du spectacle et au domaine culturel mais ma formation est celle de juriste économiste Je ne suis pas musicien moi-même mais j’aime beaucoup la musique et j’ai très à coeur les interêts de la ville de Colmar. La direction d’un festival n’est pas une chose facile et il vaut mieux aimer la musique, cela procure des compensations ; un festival n’est pas quelque chose que l’on gère comme on gère un usine ou une administration, il y a un relationnel qui est très important.

P.M : Avez-vous d’autres fonctions au sein de la ville de Colmar ?

H.N : Je suis directeur de l’Office de Tourisme et du Festival de Musique : le Festival est organisé par la ville, cela permet d’intégrer la promotion du Festival de Musique dans la promotion touristique de la Ville de Colmar. Tous les concerts ont lieu dans le centre historique de Colmar. La grande richesse du patrimoine de la ville represente un précieux atout.

P.M : Ce Festival existe depuis 20 ans, mais comment est-il né ?

H.N : Au départ il y avait déjà un concours de musique de chambre qui a donné l’idée de créer un Festival de Musique. Il y a eu deux périodes : la première, d’une durée de 9 ans où Karl Munchinger était à la tête du Festival avec l’Orchestre de chambre de Stuttgart. Il faut dire que Karl Munchinger était tombé littéralement amoureux de la ville de Colmar et en particulier d’un tableau de Martin Schongauer « La Vierge au buisson des roses » qui se trouve dans l’église des Dominicains. C’est ainsi qu’il est allé voir le Maire en disant : « Je veux jouer devant la Vierge au buisson de roses « .

Il y a donc eu cette idée d’organiser un Festival avec un chef allemand (les années 70/80 marquent le début de la réconciliation franco-allemande). Le concept du directeur artistique est venu en même temps. Le premier Festival ne comportait que 6 concerts. Puis Karl Munchinger a eu des problèmes de santé, et la question de l’avenir s’est posée. Il y a eu conjonction de différentes circonstances : je connaissais personnellement Vladimir Spivakov qui a rencontré également le Maire (un Festival ne peut exister que si la ville est impliquée) et en 1988 il a accepté de prendre la direction artistique du Festival ; c’était une autre époque, à deux ans de l’arrivée au pouvoir de Boris Eltsine et le slogan portait sur les rencontres Est-Ouest au coeur de l’Europe : un Festival dirigé par un musicien russe, avec l’Orchestre National de Moscou.

P.M : Depuis quand chaque Festival est-il dédié à un artiste ?

H.N : C’est V. Spivakov qui a amené l’originalité de l’Hommage – un atout majeur pour notre Festival car il permet de présenter un programme original autour du thème et de se démarquer des autres Festivals ; cela répond aussi à un devoir de mémoire envers d’excellents musiciens qui ont eu des personnalités très fortes et qui ont apporté un plus par leur culture et leur perception du monde. Ainsi que le dit Vladimir Spivakov, au moment où tout va trop vite, on oublie souvent ce qui a déjà été fait

L’hommage permet de faire un programme cohérent. Par exemple cette année, en ce qui concerne les 22 concerts, je peux vous dire pour quelle raison chaque oeuvre a été choisie pour figurer au programme. Cela nous permet de demander aux artistes de ne pas forcément jouer ce qu’il donnent en tournée. Cette année tous les musiciens ont accepté spontanément de se tenir à ce fil conducteur . Je pense que cela donne un énorme charme et une originalité à la programmation : on cherche à jouer des oeuvres qu’aimait particuliirement l’artiste à qui on rend hommage où qui lui ont été dédiées (certaines d’entre elles sont tombées dans l’oubli, et n’ont pas été jouées depuis 30 ans). Cette démarche est essentielle pour la réussite de la programmation

P.M. : Quel type d’artistes invitez vous ?

H.N. : Nous invitons des artistes très connus mais nous donnons leur chance à beaucoup de jeunes qui débutent. Depuis 1989 on a fait venir des jeunes musiciens qui à l’époque n’étaient absolument pas connus en occident et qui maintenant font de grandes carrières internationales ( Vadim Repin qui vient cette année a joué en 1993, a été découvert à Colmar et il fait une carrière phénoménale). C ‘est le rôle d’un Festival de découvrir des talents et non pas de présenter uniquement des grands prix internationaux.

P.M: Quelle est la fréquentation du Festival ?

H.N : Pour les quatre derniers Festivals nous avons eu entre 12 et 13 000 spectateurs : les capacités de nos salles ne sont pas très grandes. L’église St Mattieu a 850 places et les 2 autes lieux comptent 300 ou 150 places . Même si nous remplissons à 100 /100 les lieux de concert il y a une limite de capacité.

P.M : Comment est composé le public du Festival ?

H.N : On peut dire que la moitié du public vient de ce que l’on appelle « la grande région » puis il y a le public qui vient d’Allemagne (région de Fribourg) et de Suisse (région de Bâle) le reste est réparti entre le public qui vient d’autres régions de France, (pas énormément de la région parisienne) et celui qui vient de la Côte d’Azur, parce qu’à un moment V. Spivakov jouait beaucoup dans le Sud de la France, il y donc un public fidèle qui le suit. Le reste est un public international. La progression est constante avec un accroissement des gens qui viennent de l’étranger. Cette année nous attendons des personnes qui viendront de la communauté hongroise ou celles qui vont se déplacer pour tel ou tel artiste (certains artistes drainent un public beaucoup plus éloigné).

P.M. : Pouvez-vous évoquer quelques moments particulièrement forts ?

H.N : Parmi les moments d’émotion et les moments que l’on peut qualifier d’exceptionnels il y en a eu 2 ou 3 qui restent gravés dans la mémoire :

En 1993 le Festival était dédié à Yehudi Menuhin, (c’est pour l’instant l’unique Festival dédié à un artiste de son vivant). Y. Menhuin a passé 15 jours avec nous ,pour tous ceux qui ont participé au Festival et à son organisation, cela reste un souvenir inoubliable. C’est un artiste qui irradiait la bonté et la gentillesse, ne serait-ce que dans le regard , la façon d’écouter les gens. Je pense que ceux qui l’ont cotoiyé avaient conscience que c’était non seulement un artiste de génie mais aussi un être exceptionnel, un mélange de bonté et d’innocence qui a laissé à tous un souvenir très fort.

Un autre grand souvenir était la venue de Evgueni Svetlanov, un peu oublié à l’époque en France entre 92 et 95 et un des moments les plus extraordinaires a été le concert où il a dirigé la 1ère symphonie de Malher.

Le public, les musiciens et Svetlanov lui-même ont vécu un moment d’extase exceptionnel, tout le monde avait conscience d’avoir assisté à quelque chose qui ne peut se produire qu’en concert, le disque ne pouvant pas reproduire cette sorte de magie, de miracle.

Il y a aussi eu la venue de Thomas Quasthoff ,un baryton basse allemand handicapé physiquement et doté d’une voix somptueuse qui a donné un récital en 94 avec le guitariste Pepe Romero et qui a chanté un répertoire très rare de lieders de Shubert et de mélodies de Garcia Lorca avec en bis, l’Ave Maria de Shubert.

P.M.: Puisqu’il se déroule sous d’aussi bons auspices, nous souhaitons longue vie au Festival International de Colmar.